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Nous sommes huit infirmiers spécialistes cliniques, avec des modes d'exercices et des disciplines différents, mais réunis par une même vision du soin et une même volonté: valoriser la clinique infirmière.
05/09/2020
Tatiana Allègre nous propose l'analyse d'une situation clinique montrant l'intérêt de la pratique de l'hypnose avec les patients atteints de troubles du comportement alimentaire.
Dans le cadre de mon cursus universitaire de Master j’ai eu l’opportunité de réaliser un stage au sein d’une unité de prise en charge des troubles du comportement alimentaire (TCA). En partenariat avec l’Infirmière Spécialiste Clinique (ISC) qui m’encadrait, j’ai découvert ce qu’est l’anorexie mentale mais surtout j’ai compris les approches holistiques utilisées dans la prise en charge de cette pathologie psychiatrique.
En 2010, la HAS (Haute Autorité de Santé) a émis des recommandations de bonne pratique dans la prise en charge de l’anorexie, en précisant que « l’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire (TCA) d’origine multifactorielle : facteurs personnels et facteurs d’environnement. Elle se caractérise par la gravité potentielle de son pronostic : risque de décès et complications somatiques et psychiatriques nombreuses » (1).
La complexité de ce trouble demande une prise en charge pluridisciplinaire dont les soins vont s’inscrire autour de différents aspects : l’abord comportemental, l’abord cognitif/psychoéducatif et l’abord corporel/émotionnel. C’est dans ce contexte que j’ai proposé une séance d’hypnose à une jeune patiente prénommée Marie (prénom changé pour respecter l’anonymat).
Marie est une jeune femme de 31 ans, anorexique depuis l’âge de 15 ans. Elle a vécu plusieurs hospitalisations pendant environ 6 ans en service de pédopsychiatrie.
En 2011 elle a été hospitalisée une première fois dans le service des troubles du comportement alimentaire pendant 4 mois mais suite à des problèmes familiaux, elle a connu une rupture totale de soins et un amaigrissement de plus de 20 kg.
Marie vit seule à Paris. Elle est professeur de français, doctorante et en cours de finalisation de sa thèse.
Elle est l’ainée d’une fratrie de 3 filles.
Elle a été hospitalisée en service des troubles du comportement alimentaire en juillet 2016 après un séjour en réanimation nutritionnelle (poids 29 kg, IMC 11,6). Marie souffre également d’ostéoporose principalement au niveau du rachis et des hanches, et d’aménorrhée depuis 2011. Les symptômes identifiés par l’équipe médicale sont : anxiété, hyperactivité intellectuelle et dysmorphophobie.
Ses sensations corporelles sont très désagréables et se voir maigre dans un miroir la rassure dit-elle.
Durant son hospitalisation, Marie a connu plusieurs phases d’angoisse surtout par rapport à sa prise de poids, de grandes difficultés avec la confiance en soi et a été plutôt demandeuse d’ateliers autour de l’image corporelle.
Après la phase de renutrition, l’équipe soignante s’est concentrée sur l’acceptation de son image corporelle et la gestion de son anxiété notamment en lui proposant des ateliers de relaxation et des soins de toucher thérapeutique.
Actuellement Marie est en phase séquentielle avec une hospitalisation de quelques jours toutes les 2 à 3 semaines.
C’est lors d’une de ces hospitalisations que je rencontre Marie qui est sur le point de sortir. Les sorties sont toujours des moments compliqués pour les patients et source d’anxiété.
C’est dans ce cadre-là que l’infirmière spécialiste clinique et moi-même lui faisons la proposition d’un « nouveau » soin, Marie ayant déjà bénéficié de divers soins pour gérer son anxiété comme le toucher thérapeutique ou des séances de relaxation/visualisation.
Je propose alors à Marie une séance d’hypnose.
L’AFEHM (Association Française pour l’Étude de l’Hypnose Médicale) a définit l’hypnose comme étant un « processus relationnel accompagné par une succession de phénomènes physiologiques, tels qu’une modification du tonus musculaire, une réduction de la perception sensorielle (dissociation), une focalisation de l’attention, dans le but de mettre en relation un individu avec la totalité de son existence et d’en obtenir des changements physiologiques, des changements de comportement et de pensée ».
Cette technique est utilisée dans les soins afin de modifier l’état de conscience du patient et lui permettre d’activer ses capacités au changement, en le mettant en valeur et en utilisant toutes ses ressources.
Marie, touchée par cette attention, accepte très volontiers ce soin.
Après quelques explications sur le déroulé de la séance, nous nous installons confortablement.
Marie a choisi de revivre un moment de bonheur, de détente qui lui procure du plaisir : une partie de pêche à la mouche.
En amont, Marie a su me décrire la scène, le paysage, et la fabrication de sa mouche de façon très détaillée.
Puis lorsque j’ai induit la transe, elle a pu très facilement se retrouver dans ce lieu qui lui est cher. La transe a duré environ 15 minutes. Marie était détendue, souriait par moment, réagissait à mes questions auxquelles elle répondait par un hochement de la tête.
A la fin de la séance, Marie était ravie, émue. Elle se sentait très détendue et a trouvé qu’elle avait vécu cette activité de façon plus intense que lorsqu’elle l’a vécue en « vrai ».
Beaucoup d’émotions positives pour Marie qui souhaite, me dit-elle, renouveler l’expérience.
Comme je l’ai trouvée très réceptive, je lui explique que si elle le souhaite, elle peut renouveler l’expérience en complète autonomie. Je lui donne quelques astuces et surtout la valorise de façon importante pour qu’elle retrouve confiance en elle. Enfin, je profite du fait qu’elle doit revenir dans 4 jours (pour participer à un groupe de parole) pour lui proposer d’essayer et de me raconter son expérience à son retour.
Je revois alors Marie quelques jours après, souriante et me remerciant pleinement. Elle me raconte qu’elle a réussi toute seule, plusieurs fois, que cela lui fait beaucoup de bien et que quand elle fait sa séance le matin, elle se sent pleine d’énergie et sait que sa journée va être belle. J’en profite pour la féliciter et insister sur le fait qu’elle a réussi quelque chose de fort de façon autonome.
Quel ne fut pas mon étonnement après cette expérience de soins. J’avais dans l’idée de proposer quelque chose de nouveau à Marie pour la détendre face à cette anxiété de sortie d’hospitalisation. Mais bien plus que la détente, j’ai mis le doigt sur une explosion d’émotions.
Grâce à ce nouvel outil, Marie a pu revivre des émotions, enfouies en elle depuis de nombreuses années. Je me suis alors questionnée sur l’impact que pouvait avoir l’anorexie sur les émotions, et comment celles-ci pouvaient resurgir aussi facilement en état de transe hypnotique.
J’ai donc poursuivi mes recherches, à la fois en questionnant les soignants mais aussi en me tournant vers la littérature. Et je me suis arrêtée sur le concept d’émotion et sur une définition qui m’a le plus interpellée. « L’émotion est une réaction soudaine de tout notre organisme, avec des composantes physiologiques (notre corps), cognitives (notre esprit) et comportementales (nos actions) » (2) . On comprend bien l’impact d’une émotion sur tout l’individu.
Dans cette pathologie qu’est l’anorexie, les troubles alimentaires sont caractérisés par des difficultés émotionnelles importantes identification-acceptation-régulation.
Les personnes atteintes des troubles du comportement alimentaire n’arrivent plus à réguler leurs émotions et donc développent un mécanisme visant à les supprimer (évitement émotionnel).
« L’évitement émotionnel et le refuge dans des comportements de restriction et compulsions correspondent à une recherche de maitrise ou d’anesthésie émotionnelle » (3).
Pour Marie, c’est un évitement comportemental, à type d’hyperactivité intellectuelle qui est présent. Elle ne ressent plus d’émotions dans ce corps meurtri.
Mais durant la séance d’hypnose, j’ai induit une focalisation sur le ressenti émotionnel et corporel ce qui l’a à la fois déstabilisée mais surtout surprise qu’elle puisse ressentir de telles choses : « je ressentais la chaleur du soleil sur ma peau et le courant de la rivière sur mes jambes ».
La transe lui a permis de renouer avec des sensations corporelles, des ressentis émotionnels dont la maladie l’a privée depuis longtemps.
Et ce qui est d’autant plus positif c’est que Marie a su ré-initier une transe hypnotique seule. Elle a réussi à dépasser ce manque de confiance en elle, accéder à ses propres ressources, en vue d’élaborer un processus de changement. Par son désir de poursuivre l’autohypnose, Marie s’inscrit dans le paradigme de la transformation et devient actrice de sa santé et de son mieux-être.
Sources:
(1) www.has-sante.fr
(2) LELORD F., ANDRE C. - La force des émotions : ed Odile Jacob, 2003
(3) CRIQUILLION S., DOYEN C. - Anorexie, boulimie. Nouveaux concepts, nouvelles approches : ed Lavoisier médecine science, 2016
Tatiana ALLEGRE
Infirmière spécialiste clinique