Promouvoir la pensée infirmière
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Nous sommes huit infirmiers spécialistes cliniques, avec des modes d'exercices et des disciplines différents, mais réunis par une même vision du soin et une même volonté: valoriser la clinique infirmière.
02/04/2021
Stéphanie Courcoux décrit dans cet article l’état de stress post-traumatique (ESPT) que présente une patiente rencontrée lors de son activité d'infirmière de psychiatrie de liaison.
La France n’a pas été épargnée par les attentats en 2015. En effet, entre le 7 et le 9 janvier des attaques terroristes islamiques ont ciblé le journal Charlie Hebdo, des policiers et des clients de l’Hyper Cacher. Puis la France a été touchée en plein cœur le 13 novembre. Le Stade de France (SDF), les différents terrasses et restaurants du 10ème et 11ème arrondissements parisiens (Le Carillon, Le Petit Cambodge, A la Bonne Bière, Casa Nostra, La Belle Équipe et le Comptoir Voltaire) et enfin, la salle de spectacle « Le Bataclan » seront frappés.
Le 13 novembre 2015, chacun d’entre nous sait où il était, ce qu’il faisait , jour inoubliable pour le peuple français : des centaines de personnes blessées et décédées, des personnes traumatisées physiquement et psychologiquement durablement, des blessures visibles et invisibles d’un traumatisme physique et / ou psychologique.
Ces attentats ont provoqué une pathologie connue du traumatisme, l’état de stress post-traumatique (ESPT) mais peu connue pour bon nombre d’entre nous.
Pourtant, cette pathologie psychiatrique n’est pas nouvelle. Elle a été découverte au retour des soldats de la guerre. En effet, cette affection était connue sous le nom de «soldier's heart» (trouble affectif du soldat) pendant la guerre de Sécession. En France, elle a été découverte au retour des soldats de la Première Guerre Mondiale, souffrant notamment du «syndrome du vent du boulet». Le sifflement des obus perturbait leur sommeil jusqu’à provoquer des cauchemars. Mais il était alors impensable de penser qu’ils souffraient au niveau psychologique. Ils rentraient chez eux comme si de rien n’étaient, même si leur vie avait basculé après des mois passés à subir, entendre et voir des scènes dramatiques, pour ne pas dire « inhumaines ». Ce fut plutôt après la fin de la guerre du Viêt Nam que des psychiatres américains constatèrent aussi, chez des soldats vétérans, des troubles de la personnalité, des cauchemars, ainsi qu’une tendance aux conduites à risque. L'expression «stress de combat» fut alors employée, avant d’être appelée «syndrome de stress post-traumatique».
«L’ESPT est bien distinct des autres pathologies psychiatriques, avec sa sémiologie propre qui n’intervient qu’en présence du trauma» (Rechtman, 2002, p. 792). D’ailleurs, au niveau anthropologique, « l’ESPT est un des rares diagnostics que les individus acceptent et dont ils n’ont la crainte de parler. L’ESPT rompt avec l’image habituellement défavorable de la maladie mentale » (Rechtman, 2002, p. 775) «probablement par le fait que le traumatisme peut survenir chez n’importe quel individu» (Rechtman, 2002, p. 791). En effet, «l’ESPT est susceptible d’entrer dans la vie de tout le monde sans distinction possible en amont. Tant que l‘on ne vit pas un traumatisme qu’importe sa nature, on ignore l’ESPT. Le trauma est donc une rencontre entre un événement hors du commun (effroi) et un destin individuel» (Rechtman, 2002, p. 785) avec tout ce que cela comporte surtout au niveau émotionnel car il n’y a pas de trauma sans émotion.
SIGNES CLINIQUES DE ESPT
Pour que l’état de stress post-traumatique (ESPT) soit diagnostiqué, il faut que les signes ci-dessous soient présents depuis plus de trois mois (Lacambre & Baccino, 2015).
- La dépression réactionnelle
Signes dépressifs associés à des idées de culpabilité d’avoir survécu ou provoqué l’accident, des idées de responsabilités comme d’avoir laissé partir la victime / agresseur, idées suicidaires, abus de substance (exemple l’alcool dans un but anxiolytique). Troubles du sommeil importants avec des difficultés d'endormissement, des réveils nocturnes, un sommeil léger mais aussi des sursauts et de nombreux éveils inquiets au milieu de la nuit. Tous ces signes peuvent entraîner une irritabilité.
- Le syndrome de répétition
Apparition, de jour comme de nuit, de signes tels que des souvenirs intrusifs et envahissants, des flashbacks, des reviviscences, des cauchemars, des réveils brutaux en état de stress. Mais aussi des signes neurovégétatifs comme une tachycardie, des sueurs, une pâleur, des tremblements, des phénomènes de dépersonnalisation ou encore de déréalisation, un état oniroïde (impression d’être réveillé en phase d’endormissement), des amorces mnésiques (odeurs de cigarettes, de cirage, des vêtements…) qui peuvent réactiver le trauma, des conduites d’évitement à type de symptômes anxieux (attaques de panique, crise d’angoisses…) ou des symptômes phobiques (peur, agoraphobie, tunnel, ascenseurs…).
- L’hypervigilance
Elle amène une insécurité permanente. La personne est sur le qui-vive, en état d’alerte, elle explore / scrute de manière anxieuse l’environnement qui l’entoure.
SONIA¹
Sonia, 20 ans. Je la rencontre en diabétologie, lorsque j’étais Infirmière Diplômée d’Etat (IDE) de liaison psychiatrique, pour une décompensation de diabète. Elle est diabétique depuis l’âge de 12 ans. Elle connaît sa pathologie sur le bout des doigts mais son diabète est déséquilibré. Son diabétologue suspecte une dépression.
Lors de mon entretien IDE, je fais l’évaluation du syndrome dépressif. Mais quelque chose me questionne, assez vite. Je sens qu’il y a quelque chose qu’elle n’ose pas m’avouer et qui pourrait me permettre de mieux comprendre ce qu’elle vit en ce moment. Je la questionne sur les différents signes de la dépression et notamment sur le sommeil. Au départ, elle m’informe qu’elle dort bien. Mais je la trouve triste, son corps est renfermé sur lui-même, je sens qu’il y a quelque chose qu’elle n’ose pas me dire. J’utilise une voix douce et sereine afin qu’elle prenne confiance. Je lui demande juste : « vous êtes sûre ? ». C’est alors que Sonia, me décrit des flashs back, des reviviscences et des cauchemars qui la réveillent en état de stress. Elle va donc se réfugier vers de la nourriture sucrée, ce qui perturbe son diabète. Il y avait aussi des crises d’angoisses dans la journée (oppression, tachycardie, sueurs, tremblements) depuis plusieurs mois. Mais pourquoi ces symptômes ? C’est en utilisant l’écoute active que j’apprends que Sonia a fait, plusieurs mois avant, deux interruptions volontaires de grossesse (IVG) dont une chirurgicale. La nuit, elle se revoyait sur cette table d’opération, elle se voyait mourir. Elle ne comprenait pas pourquoi ces images venaient à elle, surtout la nuit. Elle y pensait sans cesse, même dans la journée. Une tristesse de l’humeur et la culpabilité étaient aussi présentes, sans parler de l’odeur du bloc opératoire. D’origine musulmane, ses parents étaient avertis de sa relation avec son compagnon mais pas de leurs relations intimes. Pour elle, il lui était impossible d’en informer ces derniers, par peur des représailles de son père. Elle a donc fait ses deux IVG sans l’annoncer à sa famille qui, pour elle, n’était pas en mesure de les comprendre. Seul son petit ami le savait et la soutenait. Je lui ai parlé de l’ESPT, de ces signes, ce qui l’a rassurée. Je l’ai donc orientée vers une consultation spécialisée sans oublier la possibilité d’aller au planning familial afin de mettre en place un moyen de contraception adapté pour son couple. D’après son diabétologue que j’ai rencontré depuis, elle va beaucoup mieux et son diabète s’est régulé.
Si l’ESPT dans cet entretien est venu à moi c’est parce que je me suis formée « sur le terrain » à cette pathologie grâce à des lectures mais aussi grâce aux patients que j’ai rencontré. En effet, je n’ai jamais eu de cours sur ce sujet lors de ma formation à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) mais c’était il y a bien longtemps ! Depuis quelques années, l’ESPT est présent dans les cours aussi bien paramédicaux que médicaux. Il est important de le connaitre car l’ESPT est répandu bien plus qu’on ne le pense.
¹ Le prénom a été modifié
Sources:
Lacambre, M., & Baccino, E. (2015). Psychotraumatisme. In Médecine légale clinique. Médecine de la violence-Prise en charge des victimes et agresseurs (p. 308). Elsevier Masson.
Rechtman, R. (2002). Être victime : Généalogie d’une condition clinique. L’Évolution Psychiatrique, 67(4), 775-795. https://doi.org/10.1016/S0014-3855(02)00171-8
Stéphanie COURCOUX
Infirmière Spécialiste Clinique
Nous écrire: collectif.helianthe@gmail.com