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Clinique infirmièrepar le collectif Hélianthe

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Nous sommes huit infirmiers spécialistes cliniques, avec des modes d'exercices et des disciplines différents, mais réunis par une même vision du soin et une même volonté: valoriser la clinique infirmière.

Développement des alternatives aux mesures de coercition à la lumière de la transition et des forces

27/03/2022

Développement des alternatives aux mesures de coercition à la lumière de la transition et des forces

L’évolution nouvelle d’un modèle de réhabilitation auprès d’adultes atteints de troubles psychiatriques permet aux soignants d’envisager les usagers des soins d’une nouvelle manière. Un modèle d’intervention et de positionnement est présenté par Aude Sibert au travers de l’étude d’une situation de soins complexe d’un patient adulte atteint d’un trouble envahissant du développement, hospitalisé dans une unité de cette filière. Les modalités d’interventions, inscrites dans le paradigme du rétablissement, basées sur un raisonnement clinique infirmier autour de la transition et des soins fondés sur les forces ont permis d’implémenter des pratiques de mesures alternatives à l’isolement et une dynamique de soins réflexive. 

Introduction 

Infirmière en Pratique Avancée en santé mentale et psychiatrie, je travaille au sein d'une  filière de réhabilitation psychosociale. La situation se déroule dans une des unités d’hospitalisation de cette filière.


La réhabilitation psychosociale, dont l’objectif est de promouvoir le rétablissement et l’inclusion des personnes souffrant de troubles psychiques, est une priorité de santé publique inscrite dans le décret relatif aux PTSM (1). Selon la définition proposée dans l’ouvrage français de référence coordonné par le Pr Nicolas Franck (2) « La réhabilitation psychosociale désigne des pratiques et une posture qui promeuvent les capacités à décider et à agir des personnes ayant des troubles mentaux sévères. Elle a pour enjeu de favoriser le rétablissement personnel et l’inclusion sociale de ces personnes, en tenant compte de la nature et de la complexité de leurs difficultés et de leurs besoins, en s’appuyant sur leurs capacités préservées et en respectant leurs choix ». 


Jusqu’’au mois de septembre 2021, l’offre de soins de réhabilitation psychosociale du centre hospitalier où je travaille, était organisée de manière sectorielle au sein de quatre pôles de psychiatrie adulte. Du fait de cette organisation, les personnes étaient le plus souvent orientées dans ces unités sur la base d’un critère par défaut, à savoir l’absence de solution de sortie définitive à court terme. De ce fait, ces unités regroupent une population hétérogène sur le plan clinique et donc en termes de besoin de soins et de réhabilitation. Ainsi, sont hospitalisées dans la même unité des personnes jeunes pour lesquelles le trouble a débuté de manière relativement récente et qui nécessitent la mise en œuvre de soins actifs de réhabilitation, et des personnes plus âgées dont le trouble évolue depuis des décennies et qui sont en attente d’hébergement dans des structures médico-sociales. La plupart de ces personnes sont atteintes de trouble psychiatrique résistant aux traitements.


Depuis le mois de septembre 2021, la création d’une seule filière intersectorielle de réhabilitation psychosociale et soins au long cours est mise en œuvre. Les objectifs sont de proposer une offre diversifiée, graduée et coordonnée de soins et de réhabilitation psychosociale. Ainsi la situation se déroule dans un contexte de changement : projet de sortie définitive de vingt-cinq patients vers une structure médico-sociale en cours de création, fusion d’unités passant de 5 à 3 unités, changement de médecins, mutualisation des équipes pluridisciplinaires et ainsi la suppression d’une dizaine de postes de soignants (effective en juin 2021). 
Cette description contextuelle permet donc d’envisager d’un point de vue systémique la dynamique de groupe de l’équipe dont il va être question dans l’exposé de cette situation de soins complexe mais également celle du groupe « unité » dans lequel se mêlent les soignants et les patients. Je présenterai dans une première partie la situation de soins complexe, puis son évaluation d’un point de vue clinique, environnemental et légal et enfin, dans une troisième partie, je développerai mon exposé autour des interventions mises en place puis leur analyse critique.

 

Présentation d’une situation de soins complexe

M J. 36 ans, d’origine bulgare, est hospitalisé en soins libres depuis 2014 dans unité de réhabilitation psychosociale. Il souffre d’un trouble envahissant du développement (TED) avec des fluctuations thymiques. 


Éléments biographiques 


•    Retard mental et troubles du langage depuis l’enfance, scolarisation dans une école spécialisée jusqu’à 8 ans puis des travaux agricoles, arrivée en France en 2003 avec son père et son frère ;
•    Suivi psychiatrique depuis 2003 en CMP à l’initiative de sa famille
•    Hospitalisation depuis 2014 suite à des troubles du comportement à type de désinhibition, une hétéro-agressivité, des fugues du domicile paternel et des arrêts récurrents du traitement neuroleptique (Olanzapine).
•    Antécédents familiaux : Schizophrénie au premier degré et trouble de l’usage de l’alcool. 


Éléments cliniques


Depuis 7 ans, l’hospitalisation de M. J a été ponctuée de plusieurs tentatives de prises en soins : bilan au centre ressource autisme (diagnostic de TED), ergothérapie (atelier piscine), socio-esthétique (massage des mains) et orthophonie (trouble du langage et apprentissage du français). M. J peut atteindre des objectifs en termes de communication, ou de comportement, néanmoins, les soignants observent une régression et une acutisation symptomatique à chaque fin de prise en soins. De plus, une déstabilisation clinique est documentée, dans son dossier informatisé, à chaque changement intervenant dans la vie de M. J.
Peu de consultations médicales ont lieu, dans le contexte des troubles du langage de M. J et du peu de temps disponible du psychiatre sur l’unité (2 ½ journées par semaines). 
Ces années d’hospitalisation ont également été marquées par la distension puis la rupture des liens familiaux (décès de son père il y a 4 ans, interruption des appels de son frère depuis la crise sanitaire).


Actuellement, M. J. ne bénéficie plus de prise en soins spécifique et son évaluation fonctionnelle révèle :
·    Une autonomie pour ses soins de base et un souci de son apparence ;
·    Des troubles du comportement diurne et nocturne (déambulation, intrusion dans les chambres des autres patients avec vol de vêtements, d’alimentation ou d’argent, dégradation des prises électriques) ; 
·    Une altération qualitative des interactions sociales réciproques et des modalités de communication (sollicitations intrusives des pairs et de l’équipe de soins, agrippement du bras de son interlocuteur, toux et vomissements provoqués) néanmoins M. J peut faire des dessins qu’il offre à la personne avec laquelle il souhaite interagir (traits verticaux avec une succession de lettres accolées) ;
·    Un répertoire d’intérêts restreint (les montres, la météo, les calendriers, les vêtements neufs, l’électricité) ;
·    Des phases d’excitation psycho-comportementale (sort nu dans la cour, se fait vomir, hétéro-agressivité envers les pairs) résistantes aux traitements et source de conflits avec les autres patients. Motif pour lequel M. J peut être isolé dans sa chambre fermée à clé.
Lorsque je fais sa connaissance, le patient est isolé (chambre fermée à clé) la nuit « pour éviter qu’il dérange les autres patients » selon l’équipe soignante. Suite au déménagement de son unité, dans le cadre de la réorganisation de la filière, une nouvelle augmentation des troubles du comportement est observée (vols, vomissements provoqués, cris) et, en regard, une augmentation des mesures de coercition (isolement, traitements sédatifs).
Les traitements prescrits le sont à visée thymo-régulatrice (Valproate de sodium) et anti-impulsive (Flupentixol; Clozapine, en cours d’introduction et Clonazepam). Les traitements « si agitation » peuvent être donnés systématiquement par l’équipe de soins au patient dans un but de « prévenir l’agitation ». 
M J présente également des effets indésirables tels qu’une hypersialorrhée traitée peu efficacement (Atropine) et une constipation chronique (laxatif osmotique dont l’efficacité n’est pas tracée dans le dossier de soins). Aucun syndrome métabolique n’est documenté et son IMC est à 19.16.  
L’équipe, dans son ensemble, verbalise un épuisement, une sensation d’être accaparée par M. J et une lassitude des problématiques récurrentes pour lesquelles elle ne s’estime pas formée. 


La complexité de cette situation réside donc dans la présence simultanée de multiples facteurs cliniques, environnementaux et culturels dans le contexte du projet d’admission en FAM de M. J prévue pour décembre 2021 qui va représenter un changement majeur dans sa vie et risque de perturber voire d’aggraver sa symptomatologie (3).

 

Évaluation de la situation de soins

 

Afin d’évaluer cette situation, j’ai procédé à son analyse systémique en m’appuyant sur la définition, en trois niveaux interactifs, de la complexité dans la pratique infirmière (4) (Figure 1).

 

Figure 1. Place de l’infirmière au regard des trois niveaux du système de santé-micro, méso, macro- et des interactions entre les différents systèmes : du patient à la politique de santé (Source : Busnel, 2020)

 

Au niveau de complexité « Micro » : celui du patient, de la clinique. 


M J est un patient souffrant d’un TED, associé à une symptomatologie thymique et une impulsivité, résistants aux traitements pris en soin dans unité de réhabilitation psycho-sociale sans dispositif de soins spécifiques depuis plusieurs mois. Les troubles du comportements présentés par M. J justifient ainsi l’emploi, par l’équipe pluridisciplinaire, de plusieurs mesures coercitives dans cette situation :
•    Le recours régulier aux traitements si agitation en systématique qui augmente les risques de chutes et de fausses routes à prendre en compte dans un effet cumulatif avec les autres effets indésirables déjà présentés par le patient (hypersialorrhée, constipation).
•    Le recours « habituel » à l’isolement nocturne de M. J. Ce dernier ayant lieu dans une chambre non sécurisée et en dépit de justification clinique.
 Ainsi, un axe d’intervention autour de la situation de M. J relève de l’élaboration d’un projet de soins articulant médiations basées sur une évaluation clinique fine et suivi médical rapproché (adaptation des traitements au plus près de la clinique).
De plus, M. J présente une décompensation de sa symptomatologie psychiatrique à chaque période de changement intervenant dans sa vie et particulièrement actuellement suite au changement de lieu d’hospitalisation. Ce qui amène à révéler une problématique de soin autour de la transition.


Au niveau de complexité « Meso » : celui de l’environnement proche du patient : sa famille et l’équipe de soin. 


Dans la situation de M. J, je peux souligner plusieurs problématiques :
•    Le délitement du soutien familial depuis le décès de son père et particulièrement depuis la crise sanitaire avec la distension des liens avec son frère vient de nouveau révéler la problématique, dans cette situation, autour de la transition. Ainsi, les relations de M. J sont actuellement limitées à celles institutionnelles. 
•    Les modifications significatives dont est l’objet l’équipe de soin : organisationnelle (structuration de la filière) et humaine (arrivée et départ de professionnels de santé) qui se retrouve donc dans un processus de changement.  
•    Les descriptions et pratiques centrées sur les déficits, les difficultés et les risques du patient faites par l’équipe pluridisciplinaire de M. J. Cet abord des soins justifie l’emploi chronicisé de plusieurs mesures de coercition (traitement « si agitation » donné systématiquement et isolement nocturne depuis 2016 non adapté à la clinique).
•    Le manque de formation revendiquée par l’équipe mais également son oubli de la réalisation, il y a 2 ans, d’un bilan en Centre Ressource Autisme ayant abouti à des recommandations de prise en charge et le manque d’investissement des dispositifs de médiation présents dans la nouvelle l’unité (balnéo, salle d’apaisement).


Au niveau de complexité « Macro » est sociétal, il concerne le système de santé économique et politique, gouvernance des soins en santé. Dans la situation de M. J, je peux souligner:


•    La problématique de l’isolement, qui a récemment été l’objet d’un article de loi (6) le définissant comme « une pratique de dernier recours » ne pouvant concerner que « des patients en hospitalisation complète sans consentement (…) proportionnée au risque (…) dans la limite d’une durée totale de quarante-huit heures ».
•    L’évolution des soins et du système de santé. Notamment celle liée au passage des soins axés sur les maladies aigües vers les soins axés sur les maladies chroniques qui met en lumière les limites de la pensée orientée « maladies et la nécessité de changer de paradigme » (7).
•    En miroir de cette évolution, le changement de paradigme récent concernant les soins dans les unités de long séjour en psychiatrie tel que sus développé (soins aux patients sans solution, résistants aux traitements vers des soins de rétablissement aux patients en favorisant leur pouvoir d’agir et leur autonomie).


Trois axes d’intervention se dégagent donc :
·    Trouver des alternatives aux mesures coercitives afin de promouvoir la qualité des soins effectué dans leur contexte légal ; 
·    Accompagner l’équipe de soins dans la transition liée aux processus de changement à l’œuvre à tous les niveaux de complexité de cette situation ;
·    Encourager une vision capacitaire de M. J pour favoriser l’élaboration d’un projet de soins.

 

Mise en relation avec un cadre conceptuel ou une/des théories en sciences infirmières

 

Afin de construire mon raisonnement clinique et d’élaborer une démarche clinique avec des modalités d’action, je me suis appuyée sur la conception systémique du changement par l’école de Palo Alto (8) ainsi que deux théories de soins infirmiers qui s’articule pour accompagner le changement : celle de la transition d’AI Méléis (9) et celle des soins infirmiers fondés sur les forces de L. Gottlieb (10).


Le processus de changement


Afin de considérer la réaction d’un groupe face à un changement, j’ai appuyé mon analyse sur la référence à l’Ecole de Palo Alto qui distingue deux niveaux de changement. Celui de type 1 qui prend place à l’intérieur d’un système donné et ne modifie pas son fonctionnement et celui de type 2, qui est illustré dans la situation de M J, qui modifie le système.
Ce changement fait passer le groupe d’une zone d’inconfort à une période de transition afin d’aboutir à une nouvelle zone de confort à condition que les acteurs du système comprennent différemment les situations vécues en changeant leurs interprétations et leurs perceptions (8). 


La théorie de la transition


Comme je l’ai décrit, la transition est une problématique touchant cette situation complexe à différents niveaux. Le mot transition vient du latin transire qui signifie « aller de l’autre côté » (11). La théoricienne A. Méléis a développé une théorie intermédiaire de soins infirmiers, située dans le paradigme de l’intégration, qui s’intéresse à ces processus de transition. Elle définit la transition comme « un intervalle de temps avec un point de départ identifiable qui s’étend des premiers signes de l’anticipation, à la perception et la démonstration du changement et se déplaçant au cours d’une période d’instabilité, de confusion et de détresse » (12) (Figure 2). Les postulats principaux, reprenant les quatre concepts centraux en sciences infirmières (personne, santé, environnement, soins infirmiers), de cette théorie sont tels que : 
•    Toute personne vit des changements et expérimente des transitions tout au long de sa vie, ce qui s’illustre dans le parcours de vie de M. J, 
•     L’état de santé est un état d’équilibre que les transitions viennent plus ou moins impacter en termes de réélaboration d’identité (rapport à soi, à la santé, à l’environnement). A chaque changement, la symptomatologie de M. J vient s’inscrire plus bruyamment dans son quotidien jusqu’à ce qu’il retrouve un nouvel état d’équilibre. Le projet de son admission dans un FAM inaugure une nouvelle transition pour ce patient ;   
•    L’environnement est un facteur influençant la personne et réciproquement (interactions). Dans la situation exposée, l’environnement vit également une phase de transition liée à des changements fondamentaux sus-décrits. Il est donc primordial de la penser d’un point de vue interactionniste ;
•     L’infirmière est au cœur des transition de santé, elle y prépare les personnes et facilite l’acquisition de compétences. Ainsi plusieurs niveaux d’interventions de soins infirmiers et de rôles sont à prendre en compte : celui de l’équipe auprès du patient mais également celui de l’IPA.

 

Figure 2: Schéma de la théorie de la transition d’AI Méléis (source: Laporte, P., & Vonarx, N. (2016). Le « bien mourir » perçu dans une approche de l’auto-transcendance et de la transition : Deux théories de soin utiles pour l’infirmière. Recherche en soins infirmiers, N° 125(2), 6. https://doi.org/10.3917/rsi.125.0006)


De plus, différents types de transition sont décrit théoriquement par A. Méléis retrouvés, empiriquement dans la situation de M. J :
•    La transition situationnelle : le changement attendu dans le rôle des soignants qui doivent passer d’un accompagnement des patients pouvant être considéré comme asilaire à celui du rétablissement et, en regard, le changement de rôle du patient (objet à sujet des soins) ;
•    Le changement organisationnel : le projet d’admission de M. J en FAM et la création de la filière de réhabilitation psychosociale.
AI Méléis décrit également des conditions qui peuvent faciliter ou entraver la transition qui me guide dans la conception de modalités d’action dans la situation : 
•    Le sens : celui donné par les soignants et M. J à ces transitions organisationnelles
•    Les croyances et les attitudes culturelles : les représentations que les soignants ont des patients en unité de long séjour.
•    Les connaissances sur la nature de la transition : le niveau de préparation possible de M. J à son admission en FAM mais aussi le niveau d’informations dont bénéficient les soignants.
•    L’environnement : la considération de la transition par l’équipe mais également la famille de M. Y. Ce qui sous-entend le sens de la reprise du lien familial.
•    La capacité de coping, à se mettre en lien et à interagir : identification développement des compétences de M J.
La théorie de la transition d’AI Méléis est moyenne portée, elle présente donc un niveau d’abstraction assez élevé. J’ai donc utilisé une théorie spécifique au type de transition qui anime, selon mon analyse, le groupe considéré dans son ensemble, celle du changement de paradigme dans les soins : la théorie des soins infirmiers fondés sur les forces (10).


La théorie des soins infirmiers fondés sur les forces


La théorie des soins infirmiers fondés sur les forces développée par L. Gottlieb (10) se situe, elle, dans le paradigme de la transformation. Selon cette théoricienne la personne est « un être unique avec ses forces et ses vulnérabilités » (13). L’environnement de la personne est considéré tant du côté de son histoire, sa culture, ses valeurs et son système de croyances. La santé concerne ce que L Gottlieb nomme « l’intégralité » soit tous les aspects de la personne y compris sa façon de vivre dans son environnement. Le rôle de l’infirmière est de soutenir et développer les forces de la personne et l’« aider à composer avec les menaces » (13). Dans la situation de M. J, un des leviers que j’identifie serait d’accompagner l’équipe à s’appuyer sur les forces de M. J, plutôt que de se focaliser sur ses déficits, ce que l’ASFF propose.


L. Gottlieb positionne, dans un premier temps, l’infirmière dans un rôle d’apprenante et expose deux méthodes de recueil d’informations (10) :
•    La méthode apriorique : qui relève des connaissances collégiales, universitaires, de l’expérience clinique et permet de construire un guide initial ;
•    La méthode exploratoire : qui est la collecte de données tant par de l’observation (se mettre en phase) que par l’exploration, dans le dossier de soins. Ainsi l’infirmière recueille les patterns de ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas (forces / déficits) selon les situations (menaces).
Le second temps est celui de l’action comme un « processus en spirale » (figure 3) composé de quatre phases où l’infirmière et la personne tient un rôle majeur : 
•    Explorer/faire connaissance : connaître la personne et son environnement, dans la situation, il s’agit donc de M. J , sa famille et l’équipe de soins
•    Focaliser : définir des priorités en partenariat sur lesquelles investir de l’énergie.
•    Exécuter : essayer différentes façons de composer avec les problèmes (menaces)
•    Réviser : examiner ce qu’il s’est passé (ce qui a marché ou non) afin de décider d’actions ultérieures.
Grâce à ces appuis conceptuels et théoriques, j’ai pu construire un modèle d’intervention à plusieurs niveaux et sur des temporalités différentes.

 

Figure 3: Le processus en spirale de L. Gottlieb (2014, p. 354)

 

Les axes d’interventions

 

Observation clinique pour le recueil d’informations


Des périodes d’observation dans le service ont permis d’explorer les préoccupations de M. J, ses modalités relationnelles et les réactions de l’équipe de soins à son égard. Le partenariat avec M. J s’est construit au travers de ces observations mais également d’interactions directes en m’adaptant à ses modalités relationnelles qui sont venues s’inscrire dans le démarrage du processus en spirale par l’étape explorer/faire connaissance. Ces interactions répétées m’ont confirmé l’importance d’inclure dans la construction de ce projet de soins non seulement l’équipe accompagnant M. J au quotidien et particulièrement ses référents infirmiers mais également sa famille. Elles ont également mis l’accent sur l’intérêt, pour M. J, de favoriser des approches de soin éducatives et sensori-motrices (14) (15)

 

Développer des méthodes alternatives à l’isolement


Les mesures d’isolement, en référence à la réforme sur la contention et son décret d’application (16) viennent clairement remettre en question la pratique actuelle de l’isolement systématique de M. J . De plus, des méthodes alternatives à la contention employées auprès de personnes atteintes de TED existent comme par exemple l’emploi de matériel lesté (17) (18).

 

Accompagner l’équipe de soin dans le changement de paradigme et de pratiques


La présentation des données collectées puis leur confrontation aux connaissances empiriques et théoriques des soignants ont permis la co-construction d’un projet de soins interdisciplinaire autour de la complexité de la situation de M. J. Celui-ci ciblant comme problème de santé l’instabilité psychomotrice de M. J associée à un trouble des interactions sociales, nous poursuivons donc trois objectifs : diminuer le recours à l’isolement nocturne, limiter l’apparition des conduites d’attention et améliorer la tolérance et l’adaptation au changement de M. J en s’appuyant sur ses forces et sans perdre de vue le contexte de changements présent et à venir.


Analyse critique et axes d’amélioration

 

La phase de révision a permis de mettre en exergue :
•    L’Empowerment de l’équipe et M. J dans le choix des médiations à visée d’apaisement ; 
•    La possibilité de mettre en œuvre ce type de partenariat avec M. J et la valorisation de ses nombreuses compétences auprès de son environnement ;
•    L’efficacité de la démarche mise en œuvre : levée de l’isolement nocturne systématique avec une diminution de la fréquence de recours à l’isolement, la réflexion engagée sur l’emploi des traitements (rapport bénéfice/risque) et la reprise des liens familiaux ;
•    La limite de cette dynamique réflexive à la situation de M. J (pas de transfert).
En effet, l’accompagnement de cette situation complexe sur un temps court (6 semaines) a soulevé d’autres axes de travail :
•    Le transfert de ce processus réflexif à d’autres situations complexes ; 
•    L’implantation pérenne du rôle de l’IPA dans ce contexte de changements (accompagnement au raisonnement clinique et d’accès aux soins médicaux dans ces unités) ;
•    La création d’indicateurs de résolution de la transition.

 

Conclusion

 

Cette structuration récente de filière de réhabilitation psycho-sociale est riche de nouveaux modèles à implanter et donc de changements. La place de l’usager et de sa famille vient y être requestionnée ainsi que le paradigme des soins qui avait cours jusqu’alors.
Le rôle de l’IPA pourrait s’inscrire dans ces changements comme un appui positif et un accompagnateur de la transition basant sa pratique sur les données probantes, les théories de soins infirmiers, une expertise clinique et un leadership collaboratif.

 

Bibliographie:

 

1.    Décret n° 2017-1200 du 27 juillet 2017.  [En ligne]  https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000035315389 . Consulté le 19/04/2021.
2.    Franck N. Traité de réhabilitation psychosociale. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2018, 875 p. 
3.    Haute Autorité de Santé. Mode d’emploi du plan personnalisé de santé (PPS) pour les personnes à risques de perte d’autonomie (PAERPA) 2014.[En ligne] https://www.has-sante.fr/jcms/c_1638463/fr/plan-personnalise-de-sante-pps-paerpa .
4.    Busnel C, Ludwig C, Da Rocha Rodrigues, M. La complexité dans la pratique infirmière : vers un nouveau cadre conceptuel dans les soins infirmiers. Rech. soins infirm. 2020 ; 1: 7-16. [En ligne] https://doi.org/10.3917/rsi.140.0007 .
5.    Richard L, Gendron S, Cara C. Modélisation de la pratique infirmière comme système complexe : une analyse des conceptions de théoriciennes en sciences infirmières Aporia. 2012 Oct ; 4(4) : 25-39.
6.    Article 84 de la Loi 2020 – 1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale. [En ligne] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000042665379 .
7.    Tinetti ME, Fried T. The end of the disease era. Am j Med. 2004 Feb ; 116(3) : 179-85
8.    Masingue A. Recherche-intervention de management de petites équipes : proposition d’un dispositif heuristique et transformatif. Rev. sc. gest. 2016 ; 113(2), 197-218.
9.    Méléis AI. Transitions Theory : Middle-range and situation-specific : Théories in Nursing Research and practice. New-York : Springer Publishing Company ; 2010, 664 p.
10.    Gottlieb LN. Les soins infirmiers fondés sur les forces : La santé et la guérison de la personne et de la famille. Louvain-la-Neuve : De Boeck ; 2014, 457p.
11.    CNRTL, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. [En ligne] https://www.cnrtl.fr/definition/transition.
12.    Alligood MR. Nursing Theorists and their works. 9ème ed. St Louis, MO : Elsevier ; 2018, 601p.
13.    Pepin J, Ducharme F, Kérouac S. La pensée infirmière. Montréal : Chenelière éducation ; 2017, 215p.
14.    Bullinger A. Approche sensorimotrice des troubles envahissants du développement. Contraste ; 2006,  2(2), 125-139. [En ligne] https://doi.org/10.3917/cont.025.0125 .
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16.    Décret n° 2021-537 du 30 avril 2021 relatif à la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention en matière d’isolement et de contention mis en œuvre dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement – JORF n°0103 du 2 mai 2021
17.    Champagne T, Mullen B, Dickson D, Krishnamurty S. Evaluating the Safety and Effectiveness of the Weighted Blanket With Adults During an Inpatient Mental Health Hospitalization. Occup Ther Ment Health. 2015 ; 31(3), 211-233. [En ligne] http://dx.doi.org/10.1080/0164212X.2015.1066220  .
18.    Mullen B , Champagne T, OTR/L , Krishnamurty S , Dickson D, Robert XG. Exploring the Safety and Therapeutic Effects of Deep Pressure Stimulation Using a Weighted Blanket, Occup Ther Ment Health. 2008 ; 24(1), 65-89. [En ligne] http://dx.doi.org/10.1300/J004v24n01_05 .

 

Aude SIBERT

Infirmière en Pratique Avancée en Santé Mentale et Psychiatrie

Infirmière Spécialiste Clinique

CH Charles Perrens, Bordeaux